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Samir Bergachi. La situation des homosexuels s’est améliorée (Tel Quel)


Kifkif, association d’homosexuels marocains, basée à Madrid, vient de clôturer une série de rencontres avec des ONG locales. Son coordinateur général fait le point sur cette première.
Vous dirigez la première association d’homosexuels marocains, Kifkif. Quels sont vos principaux objectifs ?
Avant tout, sensibiliser. Notre but est de faire évoluer les mentalités pour que les gens arrêtent de voir les homosexuels comme des pestiférés et de confondre homosexualité et pédophilie. Nous informons
les homosexuels de leurs droits et soutenons ceux qui ont des difficultés à s’intégrer à la société ou des problèmes avec leurs familles.
Comment agissez-vous au quotidien ?
Notre site web, une revue en ligne et un numéro de téléphone actif 24h/24, proposent de nombreux conseils. Nous recevons des coups de fil de tout le Maroc, et même, pour la petite histoire, des camps de Tindouf. A chaque fois que des homosexuels sont victimes d’une injustice, nous nous mobilisons. Lors de l’affaire de Tétouan en 2004, par exemple, qui a donné le déclic pour nous regrouper, nous étions derrière la mobilisation internationale qui a permis la libération des 42 homosexuels arrêtés à l’époque. Nous leur avons même permis d’obtenir l’asile politique en France, en Espagne ou au Canada.
Votre mouvement est basé en Espagne. Il est impossible, selon vous, de défendre les homosexuels au Maroc ?
Nous avons opté pour l’exil en Espagne car la législation est plus tolérante qu’au Maroc. Au début, nous étions un groupe d’internautes à vouloir réunir les homosexuels marocains. Après avoir monté un site web de soutien aux homosexuels qui ont été arrêtés à Tétouan, nous avons organisé des rencontres dans des maisons, des cafés, des bars. Puis nous avons ressenti le besoin de donner naissance à une structure légale et reconnue.
Avez-vous tenté de créer une antenne marocaine ?
Nous n’avons fait aucune démarche dans ce sens, car nous ne nous faisons aucune illusion. L’état ne permettra pas, du moins à l’heure actuelle, la création d’une association d’homosexuels au Maroc, cela pourrait irriter les islamistes, les conservateurs, les radicaux… Ce qui est, en soit, compréhensible.
Et le financement, vous le trouvez où ?
Les mauvaises langues avancent que nous sommes instrumentalisés et financés par le mouvement gay international qui cherche, à travers nous, à pénétrer les pays musulmans. C’est totalement insensé. Nous vivons des dons de membres et de sympathisants, du Maroc et d’ailleurs.
Quel était le but de votre récente visite dans le royaume ?
Je suis venu m’entretenir avec des associations de défense des droits humains sur la question de l’homosexualité. J’ai rencontré Khadija Ryadi, présidente de l’AMDH (Association marocaine des droits humains), et Khadija Rouissi, présidente de l’association Bayt Al Hikma. L’AMDH nous a annoncé qu’elle lancerait, bientôt, une campagne contre la pénalisation de l’homosexualité.
Avez-vous rencontré des officiels marocains durant votre séjour ?
Non. Nous n’avons pas cherché à le faire et, de toute façon, ils n’auraient jamais accepté de s’asseoir à la même table que nous. Mais plusieurs ambassadeurs étrangers en poste à Rabat, dont celui d’Espagne, m’ont reçu et écouté avec beaucoup d’attention.
Et les partis politiques, vous les avez approchés ?
Non plus. Les hommes politiques marocains ne tiennent pas à se mouiller dans des questions épineuses et ils n’ont aucun pouvoir de changer quoi que ce soit.
Les autorités marocaines ne vous ont-elles pas inquiété au cours de votre séjour ?
Non. Les autorités marocaines ne font pas une fixation sur les homosexuels. Ils ne sont pas traqués comme dans de nombreux pays. Tant mieux.Mais la situation actuelle des homosexuels au Maroc n’est pas toute rose, non plus ?Si on compare le Maroc à l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou le Yémen, on devrait être content. Mais à voir comment sont traités les homosexuels au Liban ou en Turquie, il reste beaucoup de travail. Une chose est sûre : la situation des homosexuels marocains a progressé ces dernières années. Aujourd’hui, la presse, excepté celle proche des islamistes, ne nous qualifie plus de malades et nous nous réunissons dans des endroits publics. Car, je le répète, nous avons le droit d’exister et de vivre notre différence. Mais le regard de l’autre est toujours présent. J’ai des amis homosexuels qui ne se rendent pas à l’hôpital lorsqu’ils sont malades, pour ne pas avoir à subir ce regard.
Les choses peuvent-elles changer, dans le futur ?
Il le faudra bien. Les homosexuels ne sont pas des extraterrestres. Et les spécificités religieuses et culturelles du Maroc ne sont pas une raison pour laisser un grand nombre de nos concitoyens sur le bord de la route. Je le rappelle, l’orientation sexuelle de chacun relève de la sphère privée.
Bio-express. Qui est Samir Bergachi ?
Malgré son jeune âge (22 ans), Samir Bergachi est déjà une célébrité… dans le milieu gay marocain. Et pour cause, ce Nadori d’origine, installé en Espagne, dirige “l’une des premières associations d’homosexuels dans le monde arabe”. Mais avant d’en arriver là, la route a été longue. Samir Bergachi a d’abord goûté au quotidien pénible d’un jeune homosexuel en terre d’islam. “J’ai fait mes études primaires et secondaires à Nador, une ville très conservatrice. Je me souviens du regard des gens, de leurs commentaires… Mais j’ai eu plus de chance que d’autres homosexuels marocains. Mes parents m’ont toujours accepté tel que je suis”. Le tournant décisif de la (courte) vie de Samir Bergachi : les événements de Tétouan, en 2004, qui ont débouché sur la création de Kifkif. “Suite à cette affaire, j’ai pris conscience de la nécessité de nous battre ouvertement pour nos droits”, explique le jeune licencié en… civilisation et culture islamiques.