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"Je suis parti pour sauver ma vie"

12/07/2012 - De nombreux homosexuels sénégalais ont été victimes de harcèlement et de violences au cours des dernières années. Certains ont été condamnés à des peines d’emprisonnement. Pour pouvoir vivre leur sexualité sans crainte quotidienne, des homosexuels se sont résolus à quitter le Sénégal à l’image de Mouhamadou Moustapha, 20 ans, qui a accepté que Ligne Azur publie son témoignage.

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Je m’appelle Mouhamadou Moustapha. Je suis né le 24 mai 1992 à Dakar.

A l’âge de 9 ans, pendant les vacances scolaires, j’ai eu un accident près de chez moi. Un camion-remorque m’a heurté et m’a traîné sur plusieurs mètres. Ma jambe gauche a été broyée et il n’y a pas eu d’autre solution que de m’amputer au-dessus du genou pour me sauver la vie.

Je suis resté 7 mois à l’hôpital de fin juillet 2001 à février 2002. Après avoir reçu ma première prothèse, j’ai pu remarcher et l’année suivante ma mère m’a inscrit dans une école pour personnes handicapées où j’ai continué mes études en classe de CE2.

Plus tard ma famille et moi sommes partis vivre dans la banlieue de Dakar.

Durant l’année 2007, j’ai eu un ami, Papis, qui était un peu plus âgé que moi. J’allais souvent le voir à son domicile quand je finissais mes cours ou que je n’avais pas classe. C’est avec cet ami que j’ai découvert mon homosexualité.

Auparavant je n’avais jamais fréquenté les filles ni eu de petite amie. Je me disais que jamais une fille ne voudrait sortir avec une personne ayant une jambe en moins. Du coup je n’y pensais même pas.
Un jour, je me suis retrouvé dans la chambre de Papis. Il était très affectueux avec moi et très gentil. On parlait, rigolait, jouait, jusqu’au moment où nous nous sommes retrouvés nus en train de jouer avec nos sexes et nous embrasser.

Il m’a expliqué après qu’il ne fallait jamais parler de cela à quiconque.

Moi, je ne trouvais rien de mal à cela. Je ne comprenais pas pourquoi il avait si peur que j’en parle.

Après ce jour, on s’est revus plus souvent. Nous avons eu beaucoup de relations communes et nous nous sommes donnés beaucoup de plaisir. Avec lui, j’ai ressenti mes premiers sentiments. J’ai compris ce que ça faisait quand une personne que vous aimez vous manque ou que vous avez envie d’être près d’elle. Il me disait souvent qu’il me trouvait beau et très intelligent, que je pouvais avoir beaucoup de choses dans la vie avec un peu d’aide. J’ai mieux compris ce qu’était l’homosexualité. Il m’a fait connaitre quelques homosexuels qui venaient lui rendre visite ou que l’on croisait dans les rues de Dakar.

Nous, les homos, nous nous faisons souvent insulter dans la rue, agresser, parfois torturer car le Sénégal n’accepte pas les homosexuels et tout ce qui touche à eux. Certaines personnes disent qu’elles n’emprunteront jamais la même route qu’un homosexuel…

Papis m’a toujours dit de rester le plus discret possible et de ne parler de mon homosexualité à personne.

Un jour alors que nous étions dans la chambre de Papis, une de ses cousines nous a surpris. Elle s’est mise à crier puis est partie en courant. Papis a paniqué. Il a dit que nous étions “dans la merde” si jamais elle parlait à quelqu’un. Après cela je suis rentré chez mes parents. Tout s’est bien passé. Mes parents ne savaient rien.

Mais une semaine après, mon père m’a appelé à mon retour du lycée. Il m’a demandé si je fréquentais toujours notre ancien quartier et si je voyais un certain Papis. J’ai alors compris qu’on lui avait dit des trucs. J’ai eu peur et j’ai répondu non pour ne pas avoir une mauvaise image devant eux.

Malgré mon démenti, il m’a traité de menteur. Même mon grand frère m’a insulté et battu tout en me traitant d’handicapé et d’homosexuel (Lafagn goor djiguene en wolof). Ma mère a eu une discussion avec moi et m’a dit : "Comme si le fait d’être un handicapé ne te suffisait pas, maintenant tu fréquentes des homosexuels".

Deux semaines après j’ai revu Papis. Il est venu me chercher à la fin de mes cours dans mon lycée et on s’est parlé. Je lui ai expliqué le problème. Il m’a dit qu’il savait que sa cousine avait commencé à parler autour d’elle. C’est à cause de cela que mes parents ont été mis au courant. C’est ce qu’il craignait. Alors il m’a dit que nous devions cesser de nous voir pendant un moment pour ne pas avoir de problèmes.

J’ai accepté car depuis le jour où mon père m’a parlé, je n’ai plus été considéré pareil à la maison. Personne ne s’intéressait à moi. Ma mère qui me donnait de l’argent tous les jours pour aller à l’école et manger ne m’en donnait plus que pour le transport. Pour les repas, elle me disait de me débrouiller car elle ne voulait pas nourrir un enfant qui fréquente des homosexuels et qui est considéré comme un des leurs par les gens.

J’ai eu beau nier en disant que les gens mentaient mais personne ne m’écoutait. Au bout de quelques semaines, Papis m’a demandé de venir le retrouver chez un ami. Je l’ai fait car j’avais besoin de le voir et de parler à quelqu’un car je ne me sentais vraiment pas bien.

Mis à la porte de chez mes parents

Papis et moi nous nous sommes retrouvés chez son ami qui est lui aussi homosexuel. Celui-ci m’a demandé comment ça se passait chez moi. Je lui ai dit que ça allait de mal en pis, que je n’étais plus désiré dans ma famille.

Quelques mois plus tard, pendant les fêtes de la fin de l’année 2010, cet ami m’a proposé de participer à une fête qu’il organisait chez lui avec quelques amis homosexuels.

Je suis allé à cette fête et tout s’est bien déroulé. Nous avons passé une bonne soirée. Vers 4 h du matin, j’ai décidé de rentrer chez moi. Un garçon en a profité pour repartir avec moi car il habitait près de l’arrêt de bus où je me rendais pour repartir chez mes parents.

Après avoir marché une centaine de mètres, des gens ont reconnu le garçon et ont commencé à l’insulter puis à s’approcher de nous. Ils nous ont craché dessus et frappé. Moi il m’ont poussé par terre, piétiné et traîné jusqu’à me blesser à la jambe.

Le lendemain de cette histoire, quand je me suis réveillé, mon grand frère m’a dit qu’il ne dormirait plus dans la même chambre que moi. Il a commencé à m’insulter et à me traiter de tous les noms malgré mon handicap. Quand il a essayé de me frapper, j’ai réussi à le mettre par terre. Je le dominais lorsque ma mère s’est interposée. Alors mon père est sorti de sa chambre et m’a demandé de prendre mes affaires et de quitter la maison. Il a dit que je lui faisais honte, que je n’avais qu’à aller vivre avec les homos puisque j’en étais un.

Je n’ai même pas pu prendre tout mes habits. J’en ai juste pris quelques-uns et je suis allé chez ma grand-mère dans la banlieue de Dakar croyant pouvoir y trouver la paix. Ma grand-mère ne m’a jamais maltraité ou fait des reproches au moment où tout le monde m’en faisait. Quand je suis arrivé chez elle, elle m’a demandé de lui certifier que tout ce que les gens disaient était faux, que je n’étais pas homo et que je traînais juste avec ces gens. Elle m’a demandé aussi d’arrêter de les voir car c’était la cause de tous mes problèmes. J’ai répondu oui pour lui faire plaisir et pour ne pas trop parler. Au fond de moi, je savais bien que les gens avaient raison et que cela ne risquait pas de changer.
Quelque semaines plus tard, les membres de ma famille qui venaient rendre visite à ma grand-mère et qui me voyaient chez elle lui demandaient pourquoi elle m’hébergeait. Quand ils passaient, ils m’insultaient et me regardaient bizarrement. Je n’ai pas pu le supporter. J’ai pris mes bagages et je suis parti chez l’ami de Papis pour quelques jours le temps de trouver une solution. En fait je n’en avais pas car je n’avais plus de famille, j’avais arrêté mes études, et j’étais souvent victime d’attaques dans la rue par des gens qui me connaissaient et qui avaient appris que j’étais “devenu” homosexuel.
Je suis resté chez l’ami de Papis jusqu’à avril 2011. Puis, jusqu’à octobre 2011, j’ai dormi chez deux autres connaissances, des amis d’enfance qui n’étaient pas au courant de mon histoire même si l’un d’eux en avait eu des échos. J’ai tout fait pour qu’il n’y croit pas afin de ne pas me retrouver à la rue.
Un soir, alors que j’allais chez l’ami de Papis, des personnes que je n’avais jamais vues auparavant m’ont intercepté et m’ont demandé si c’était bien moi “Moumous l’handicapé homo ?”. Je n’ai pas répondu mais ils m’ont arrêté et insulté en disant : “Sale handicapé, c’est à toi qu’on parle !”. Ils ont commencé à me battre. Ils ont arraché ma prothèse et l’ont jetée dans un égout. Ils ont continué à me frapper puis m’ont tranché une partie de la gorge avec un couteau. Ils m’ont donné beaucoup de coups avant de s’enfuir. Ils m’ont traité d’homo et d’handicapé en disant que je méritais tout ce qu’ils étaient en train de me faire, que je n’avais pas de place dans la société, etc. C’est une vieille dame qui m’a aperçu et qui m’a emmené avec sa voiture chez l’ami de Papis. Celui-ci l’a remerciée et m’a conduit à l’hôpital pour me faire soigner.

Partir pour sauver ma vie

Le lendemain, mon ami m’a dit que nous devions aller à la police car l’acte était grave puisqu’’on avait tenté de me tuer. Je ne voulais pas y aller mais il m’a persuadé. A notre arrivée au poste de police, l’agent m’a demandé ce qu’il s’était passé. Je lui ai raconté et il m’a demandé pourquoi selon moi ces gens étaient venus me voir si je prétendais ne pas les connaître. J’ai dû lui dire que c’était parce que j’étais homo. Il a eu un petit sourire et a dit : "Tu n’as qu’à ne pas être homo". Alors nous sommes partis. Mais on a eu peur de se faire poursuivre en justice car l’homosexualité, interdite au Sénégal, est passible d’une peine d’emprisonnement.

Rentré chez mon ami, celui-ci m’a parlé d’une personne qui aidait les gens à quitter le pays en cas de problèmes. Pour le rencontrer, il fallait que je me rende en Gambie. C’est ce que j’ai fait une fois guéri. J’ai expliqué à cet homme que ma vie était de plus en plus en danger et que je ne pouvais même plus sortir librement à Dakar. Il m’a demandé de retourner chez moi et de préparer une somme d’argent et trois photos d’identité. Quand il viendrait à Dakar, il me contacterait. Quelques semaines plus tard, il m’a effectivement donné rendez-vous. Je lui ai remis les trois photos et 250 000 francs CFA que j’avais réussi à obtenir en vendant mon ordinateur portable. Il m’a dit que ce n’était pas suffisant pour l’argent et qu’on en reparlerait une fois qu’il se serait occupé de mon dossier et organisé mon voyage.

Deux semaines après, il m’a recontacté pour me dire que tout était prêt et qu’on allait bientôt partir en France. Le jeudi 27 octobre 2011, j’ai préparé mon sac avec quelques affaires et je suis parti le rejoindre à l’aéroport Leopold Sédar Senghor pour prendre un vol de Brussels Airlines à 22 h 35.
Au contrôle, il m’a dit de le présenter comme mon tuteur ou mon accompagnant puisque j’étais handicapé. A chaque fois que je devais présenter mes papiers, il les sortait de sa sacoche, me les donnait et les reprenait ensuite pour les ranger.

Après quelques heures de vol, il m’a dit : “Bientôt en Europe, tu es content ?". Et d’ajouter : “Maintenant le travail va commencer pour toi car tu sais bien que tu n’as pas versé tout l’argent que tu me devais. Une fois arrivé en France, le temps que je m’occupe de ton permis de séjour, tu vas travailler dans une maison où des vieux et des homo comme toi viendront pour avoir des relations avec toi. Chaque personne te donnera 150 euros. Tu me donneras 50 euros et les 100 euros restants seront pour toi jusqu’à que tu me payes tout ce que tu me dois pour le voyage”. Il fallait que je lui donne 2 millions de francs CFA.

J’ai été très surpris car on n’avait jamais parlé de cela auparavant. Je me suis levé et je suis allé m’enfermer un moment dans les toilettes de l’avion. Je paniquais car je venais en France pour sauver ma vie et non pour exploiter ou vendre mon corps.

Arrivé à Bruxelles à 5 h 25, on a pris aussitôt un train qui nous a amenés dans une gare. Par la suite j’ai su que c’était la gare du Nord.

L’homme m’a demandé de l’attendre le temps d’aller chercher une voiture. Quand il est parti, je me suis enfui. J’ai pris un escalator pour aller me cacher. Le lendemain matin je suis sorti de ma cachette pour retourner là où j’avais laissé l’homme. Il n’était plus là. Un arabe qui m’a vu avec mes béquilles et mon sac lourd m’a aidé. Il m’a demandé si je venais d’arriver. Je lui ai dit oui et que je ne connaissais personne ici, que j’étais perdu. J’ai commencé à pleurer. C’est lui qui m’a amené dans un bureau pas loin de l’endroit où il m’a trouvé et c’est là que j’ai fait une déposition. Après on m’a amené dans ce centre d’hébergement.

Mouhamadou Moustapha