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Mohamed-Ludovic Zahed, l'intellectuel qui conjugue homosexualité et islam


10/07/2012 - Mohamed-Ludovic Zahed est le premier musulman au monde à faire son coming-out. Marié avec son compagnon, cet intellectuel franco-algérien se bat, depuis des années, pour le droit des minorités sexuelles et contre l'homophobie dans le monde musulman.

Le parcours de Mohamed-Ludovic Zahed a tout d’une épopée des temps modernes. Lorsqu’on le voit aujourd’hui, jeune homme aux traits paisibles et au regard espiègle, on est loin d’imaginer les péripéties qui ont jalonné son chemin. 

Il est devenu le premier musulman au monde à proclamer et défendre son homosexualité, mais surtout à la sortir du redoutable cachot de l’extrêmement «haram» (le péché)!

Un homo parmi les salafistes

Auteur de plusieurs ouvrages sur la question, dont le dernier Le Coran et la chair (éditions Max Milo, 2012) a fait grand bruit en France, Ludovic ne fait nullement partie de ces homos bien nés, dont le coming out se fait dans le coton, avec la compréhension et l’amabilité de leur milieu familial et social.
Non. Lui, c’est un Algérien musulman, né à Alger en 1978, puis émigré en France avec sa famille avant de revenir dans sa ville natale, au beau-milieu de la décennie rouge (guerre civile entre l'armée et les groupes islamistes intégristes, entre 1990 et 2001). 

Tiraillé entre une homosexualité qu’il n’arrive pas à assumer et une quête spirituelle de plus en plus pressante, il finira par fréquenter les salafistes de Kouba (un quartier chaud dans la banlieue d’Alger), dans l’espoir d’y trouver un quelconque apaisement. 

Cette période de sa vie est racontée dans son dernier livre qui oscille entre l’essai et l’autobiographie. L’on peut y lire, notamment, les tourments de son premier tressaillement mystico-charnel.
Djibril, un de ses camarades de «doctrine», éveillera en lui, et de manière claire, une sensation inédite, celle d’aimer un homme. Mais le salafisme, un des jalons de ce qui allait devenir la guerre civile en Algérie, finit par désenchanter Mohamed-Ludovic, qui ne peut concevoir un Dieu et une religion incitant au meurtre. 

C’est le premier soubresaut d’une longue cavalcade vers la lumière: celle de «l’autodéfinition et de l’autodétermination de tou(te)s».

Le mariage improbable

Comme pour le deuil d’une époque révolue, le jeune adolescent passera par les cinq étapes nécessaires. 

Un déni qui ne dure pas longtemps. La colère qui entraîne de sérieux et féconds questionnements sur cette identité sexuelle tant honnie et stigmatisée par son milieu originel. Le marchandage, où Mohamed-Ludovic entame les premières négociations avec son nouveau «moi». La dépression qui survient, lorsqu’il se perd entre une homosexualité prohibée, mais si indissociable de son être, et cette spiritualité désirée, mais en apparente contradiction avec la première. Enfin, la salutaire acceptation née de cette paix retrouvée où être gay n’est en rien antagonique avec la croyance et la pratique islamiques. 

Mais comment être à la fois homosexuel et musulman pratiquant? Comment arriver à cette insoupçonnable conciliation entre l’un des plus indétrônables tabous de cette religion et la pratique sereine et fervente de cette même religion? 

Mohamed-Ludovic Zahed a fait sa «réforme», en attendant que celle-ci soit prônée et appliquée dans le monde musulman: 

«L’islam n’est pas une loi, c’est une philosophie de vie avant tout; les relations interindividuelles, réalisées dans le consentement mutuel, l’amour et le respect d’autrui, n’ont pas à être prises en compte par l’éthique islamique qui ne vise pas la normalisation abstraite de notre humanité, mais le bien-être de chacun(e) au sein de sociétés civiles apaisées et respectueuses du droit de l’individu. Il fut un temps où les sociétés arabo-musulmanes étaient à l’avant-garde de ces réflexions-là. Il faut réaffirmer aujourd’hui clairement qu’il n’y a rien d’incompatible entre sexualité et spiritualité, bien au contraire: il nous faut être en paix, à tous les niveaux de notre existence

C’est dans cette démarche que le collectif Homosexuels musulmans de France, dont il est le fondateur, organise régulièrement des conférences et des débats autour de l’homophobie d’essence religieuse et pose, arguments massues à l’appui, les jalons d’une possible réconciliation.

Mohamed-Ludovic tranche sans sourciller que rien, dans le Coran ni dans la Sunna (tradition prophétique), n’interdit l’homosexualité.

Pour cela, il nous offre une interprétation très intéressante de la sourate Loth (du nom de ces habitants de Sodome, une ville qui fut détruite au XXVe siècle avant le prophète Mahomet). 

Cette sourate fait partie des onze sourates ou chapitres, parmi les 114 que compte le Coran, qui stigmatise l'amour entre hommes. La sourate Loth sert de référence aux oulémas (théologiens) prônant l’interdiction formelle de l’homosexualité dans l’Islam.
«Les versets du Coran citant le peuple de Loth ne parlent jamais d'homosexualité en tant que telle; une homosexualité qui n’est pas citée une seule fois, nulle part. Le Coran fait mention de pratiques sexuelles violentes, inhumaines, dont était connu ce peuple de Sodome et Gomorrhe, entre autres pratiques criminelles (viol, vol, refus d'hospitalité, meurtres, etc.) qui n'ont rien à voir avec l'homosexualité. Or, l’on sait aujourd’hui que l’homosexualité n’a pas été “inventée” par le peuple de Loth. Et de considérer que ces crimes sont le propre des homosexuels serait une discrimination et un amalgame. On continue de nous accuser de tous ces crimes odieux commis par un peuple qui avait, entre autres, des pratiques homosexuelles violentes et déshumanisantes. Par conséquent, celles-ci, tant et tant de fois dénoncées par les musulmans dogmatiques, qui seraient selon eux citées dans le Coran de manière indirecte, n’ont en réalité rien à voir avec l’homosexualité en tant que telle.»

Des millions de camarades anonymes

En Algérie, comme dans la plupart des pays musulmans, l’homosexualité est un délit passible de prison (et de peine de mort pour certains). 

L’action menée par Mohamed-Ludovic et son collectif a certes son point d’ancrage et son réseau en France, mais son propos reste universel, puisqu’il est question essentiellement d’une nécessaire réforme de la représentation de l’Islam. 

Cette religion, le jeune homme la définit comme «une philosophie de vie apaisée et fondamentalement inclusive»; une vision qui n’est pas près de se faire une place dans le courant de pensée islamique actuel, où la rigidité le dispute à un réformisme de façade, voire hypocrite et trompeur, qui évite tenacement les sujets qui fâchent, tels que l’homosexualité.

Mais Mohamed-Ludovic ne perd pas espoir, il compte notamment sur ses semblables pour arriver, enfin, à l’acceptation de soi. Mais, surtout, à la prise de conscience indispensable quant à la nécessité du combat pour le respect de leurs droits.

A eux, à ces damnés du monde musulman, croulant sous le double fardeau du conservatisme et du rigorisme religieux, il lance un appel clair: 

«Vous n’êtes pas des criminel(le)s ni des pervers et encore moins des déséquilibré(e)s; car il faut être particulièrement courageux et équilibré pour résister aux pressions sociales auxquelles nous avons à faire face. Assumons-nous; la patience est mère de toute vertu!»

Entre un pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, une conférence sur les droits des minorités sexuelles et un voyage de plaisance avec son époux sud-africain, l’enfant de Kouba, à Alger, a trouvé le précieux équilibre. 

Mais il a surtout acquis une maturité intellectuelle et religieuse, qui font de lui, aujourd’hui, le symbole d’une possible révolution culturelle et cultuelle porteuse d’espoirs à des millions d’anonymes, dont la différence n’est plus un crime, mais une identité à défendre.  

Sarah Haidar (romancière et journaliste algérienne)    


Source: Slate Afrique